Antoine Haincourt (Enseignant à l’EM Lyon Business School, @ahaincourt) et Jean-Michel Roux (Maître de Conférences et Directeur adjoint du Pôle Sciences Sociales de l’Institut d’Urbanisme & Géographie Alpine) s’interrogent sur les liens entre la ville et le sport
Imaginer que la crise sanitaire puisse être une apocalypse, catastrophe et révélation, qui entraînera un changement de notre société, de laquelle naîtra soit une réforme vers un monde meilleur soit une aggravation de ses dysfonctionnements, relève de la tradition utopique.
Ils ont utilisé les outils prospectifs et projectuels que sont la dystopie et l’utopie pour imaginer les stades de football et leurs villes en 2050.
Mouvement sportif et mouvements sociaux
L’économie du sport professionnel était un colosse aux pieds d’argile lorsqu’un simple coronavirus l’a mis à bas à partir de 2020. Les JO de Tokyo 2021 avaient été une catastrophe avec des compétitions vides de sens, par des huis-clos quasi systématiques et l’absence de nombreuses délégations, en raison de la persistance de la pandémie et d’économies en ruine.
Certains pays avaient masqué un dopage d’État sous couvert de traitement préventif de leurs athlètes. Les coûts exorbitants de l’organisation se traduisirent par un conflit entre le Japon et le CIO (Comité international olympique). Les Japonais descendirent en masse dans les rues lors du Wasaga protest ou « mouvement des ombrelles ».
La Coupe du monde de football de 2022, qui devait se tenir au Qatar, fut annulée devant l’accumulation des scandales et procès relatifs à des soupçons de corruption dans l’attribution de la compétition et des droits de retransmission.
Partout dans le monde, des mouvements citoyens se mobilisèrent pour réclamer un réel changement de paradigme. Ils se réunirent lors du premier Forum mondial des Sports, tenu à Athènes, dans les friches sportives des JO 2004. Les congressistes présentèrent un nouveau rapport Taylor qui permit la rédaction de nouvelles lois et réglementations.
Stades et vie de quartier
En 2050, les grands stades et les clubs existaient toujours, mais la loi leur imposait d’être utiles pour leur communauté. Les stades étaient revenus au plus proche des populations pour en faciliter l’accès par les modes doux et actifs. Ils accompagnaient les populations de la naissance à la mort.
Tout un chacun se souvenait y avoir vu un match, mais surtout y avoir joué au parc, passé ses examens, avoir été soigné ou s’être marié. Certains choisissaient même d’y être inhumés dans des columbariums situés sous les gradins.
Certains stades étaient devenus des bijoux de technologie pour optimiser l’expérience client. Téléphones, tablettes et montres étaient connectés au terrain et à la vidéo, permettant de revoir chaque action au moyen de casque ou de lunettes à réalité augmentée.
A l’inverse, certains stades vintages rendaient impossible tout usage d’un appareil connecté pour retrouver l’expérience du supporteur à l’ancienne… Même s’il n’était pas rare de voir certains introduire de vieux transistors à pile pour écouter les scores à la radio.
La vie d’après les stades
Les stades n’étaient plus démolis quand leur cycle de vie se terminait. Ils devenaient souvent des parcs sous la surveillance de paysagistes. Au Brésil, l’Arena Pantanal de Cuiabá, construite à l’occasion de la coupe du monde 2014, était devenue une favela autour d’une aire de jeu transformée en décharge à ciel ouvert. La reprise en main avait été spectaculaire.
Dans le cadre d’un programme fédéral, elle était devenue une « ville dans la ville » : Jardim Verdão. La décharge avait été recouverte de terre végétale pour créer des terrasses sur lesquelles on installa les serres du désormais célèbre marché aux fleurs du Verdão. D’élégants quartiers s’étageaient dans les gradins en amphithéâtre, dotés de nombreuses rues en escaliers et de mini-placettes.
Dans d’autres stades, l’opération avait été faite de manière plus informelle et moins socialement ambitieuse avec des copropriétés populaires sous la forme de gated communities. Elles nous rappelaient que les amphithéâtres romains étaient parfois devenus des bourgs fortifiés au Moyen-Âge. Tout n’était pas rose en utopie.